lundi 27 janvier 2014

Mirage de la vie

Mirage de la vie de Douglas Sirk (1959)

Titre original : Imitation of life

Le mirage, cet éclat qui brille au loin et aiguise nos ambitions. Il donne à Lora et Annie la force d'y croire, de se surpasser même et de survivre sans la présence du masculin. Il ne s'agit pas d'une fierté, d'une revanche. Nous n'en sommes pas là. Mais d'une victoire pour soi-même et pour le petit miroir qui les côtoie, leur fille, qui ne sont encore qu'à l'âge des caprices. Garder la tête haute et ne pas détourner son regard de ce mirage, y compris lorsqu'un nouvel homme vous propose de recommencer, de reprendre pied dans la belle et commune norme. Celle que déjà, Cary*, veuve elle aussi, avait voulu fuir en tombant amoureuse d'un homme de condition modeste.

Lora et Annie, deux femmes en apparence, au destin similaire. Mais que leur couleur de peau oppose, bien qu'elles n'en fassent guère cas. Elles ont dépassé cette différence, même si certaines traditions demeurent. Annie, femme de couleur, est la bonne de Lora. Mais parce qu'elles ont ensemble bataillé et vaincu les difficultés sans l'aide des hommes, rien ne les effraie ni ne les arrête. Ensemble, elles sont une force et taillent dans la roche leur propre destin, une noble réussite. Quoi de plus grisant que d'épuiser la source de ce mirage, par cette liberté et cette détermination !

Mais cette victoire et ce bonheur ne valent que pour les cœurs de Lora et Annie. Que peuvent espérer leur fille, d'un rêve qui ne l'est plus puisqu'il est devenu réalité ? Et leur fille ont une route à tracer et leur mirage à saisir. Une route qui pourrait bien les mener aux sources même des combats de leur mère : pour Susie, la fille de Lora, épouser un homme, s'aliéner à lui et pourquoi pas justement celui que sa mère refusa, jadis ; et pour la fille d'Annie, Sarah Jane, s'affranchir de l'autre, ne dépendre de personne. Sarah Jane, enfant métisse, n'a pas hérité de la couleur de peau de sa mère. Pourquoi devrait-elle avoir des rêves subordonnés à ceux des blancs ? N'est-elle pas blanche de peau, elle aussi ? Annie sait très bien que son enfant à raison. Son mirage va au-delà des espérances même de tout un peuple. Alors Annie laisse partir son enfant, dans la douleur et fait le terrible constat qu'elle ne peut plus concourir à son bonheur mais plus encore, qu'elle l'entrave.

Il y a des rêves que les enfants ne peuvent espérer gagner qu'en se séparant de l'amour protecteur. Il y a des rêves de petite fille, épouser le prince charmant ; et il y a des rêves de femme, conquérir sa liberté au prix d'un renoncement de ses racines. Ce rêve-là vous grandit, tôt ou tard, à vos dépens et son bonheur n'a d'égal que son amertume et le lourd tribut d'un sacrifice qu'une vie entière ne suffira pas à payer.

*Tout ce que le ciel permet, de Douglas Sirk (1955).
Juanita Moore « Annie », Lana Turner « Lora » et leur fille.



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