dimanche 1 juin 2014

Adieu au langage

Adieu au langage de Jean-Luc Godard (2014)

Lorsqu'il faut dire adieu, notre visage prend une mine éclairée tout autant que vague, et sa lucidité se dissout dans les quelques moments qu'il reste à vivre avec la chose qui va disparaître. Et de fait, les hommes et femmes présents dans l'anti-chambre de la salle obscure ont tous un point commun qui se lit sur leur visage : ils ne cherchent pas à masquer leurs années de questionnements. Ils ont des rides comme des citations, et une sérénité religieuse qui précède la confession.

Feu. Dans le fracas des sons pourtant communs, nous sont livrées des images saturées pour dire la saturation visuelle permanente qui nous entoure. Pour dire également que la couleur n'a pas encore disparue, mais qu'elle pourrait bien prendre le funeste chemin des mots. Entrecoupées de noir et blanc d'archives, enchevêtrées dans une amorce de symphonie qui sera notre repère tout au long de l'adieu.

« Vivre ou raconter » est-il dit. « Vivre ou se raconter, il faut choisir » dit Roquentin dans La Nausée de Jean-Paul Sartre. Vivre et succomber à la vitesse, à la dérive, au trop-plein, aux meurtres, à la guerre, à l'extinction... ou raconter, dire le passé, lire, relire, implorer les grands disparus, ceux qui prenaient le temps de composer, et abandonner les vivants tandis qu'on dépoussière à tout-va. Croire que les mots seront sauvés tant qu'on les lit, et qu'ils atteindront ceux qui courent devant nous. L'espoir n'est guère permis. Malgré tout, il reste la possibilité de composer dans le mouvement. Chercher à se penser pendant qu'on roule, qu'on navigue. C'est périlleux mais c'est possible.

Quand tout est terminé, quand tout est dit, que le film se termine, on ne trouve plus les mots puisque l'on a passé une heure et dix minutes à leur dire adieu. Il est difficile et lourd de croiser un regard sans qu'il porte le poids du consentement. Peut-être qu'il vaut mieux s'enfuir, reprendre vite le fil de son quotidien. Sauf que l'envie est plus forte de combler l'inachevé, de tenter de faire parler le vide et plus encore de contredire le cinéaste sans quoi il faut se dire adieu, aussi. Le film fait son petit travail en nous et il va falloir se mettre au travail. Vivre et raconter. Raconter d'abord le film, si c'est possible.


Image extraite du film.



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