dimanche 9 février 2014

Une séparation ou le concept de « porte »

Une séparation de Asghar Farhadi (2011)

« Toujours des murs, toujours des couloirs, toujours des portes. »(1)

Un couple se sépare. C'est le constat d'une fin, d'une limite, d'un absolu infranchissable. D'une impossibilité de concilier, de fondre deux mondes, deux visions du monde, deux élans. Le monde de chacun se resserre, peau de chagrin d'espérances fanées. S'affirmer, exister n'est possible alors qu'en fermant une porte, afin de redéfinir les contours de son monde, de sa vérité, au détriment de celle de l'autre.
Fruit d'un ancrage et d'un positionnement identitaire, la porte fige tout, cloisonne mais rassure. Elle donne l'illusion de tout protéger. Au sein même de l'appartement, pour éloigner Termeh, la fille, des disputes des parents ; pour écarter du danger le grand-père atteint de la maladie d'Alzheimer.
Paradoxalement, alors que Simin et Nader se séparent, et que tous deux s'enferment, Nader doit ouvrir sa porte à une femme pour s'occuper de son père. Et dans l'intérieur de Nader s'infiltre alors un secret qui va précipiter le drame, via sa porte d'entrée : elle va révéler son caractère primitif, et devenir la symbolique du dialogue impossible, de la radicalité. Et plonger les êtres au cœur même de leur vérité figée, inaudible et inconciliable. Tapies derrière les portes, les vérités de chacun sont dissimulées et finissent tôt ou tard par éclater, et s'entre-choquer.
Pour sortir de l'impasse, les couloirs de la justice s'ouvrent, et s'agite là l'ombre du revers de la rue. Le spectre de la loi fait le guet devant des portes qui ne s'ouvrent plus : celles de la prison. Il faut à tout prix trouver une issue pour ne pas condamner son avenir, même s'il faut mentir. Mentir au juge, par exemple. Mais mentir à Dieu est impossible. Enfreindre les préceptes de la religion, c'est se condamner soi-même. Ce que nous protégions devient étrangement une menace et nous contraint à ouvrir notre porte. Sauver l'autre pour nous sauver.
La justice des hommes et la religion s'offrent comme des recours à l'incommunicabilité et aux fractures sociales certes, mais leurs portes n'ont pas de poignées, et cet enfermement est plus douloureux encore que le nôtre. Justice et religion ne font que tisser un nouveau réseau qui décloisonne pour emmurer. La société iranienne est minée de ces séparations interminables et interchangeables, au même titre que toute société qui n'arrive plus à résoudre ses conflits, ses déséquilibres.
Le relais est passé à la génération suivante, incarnée par Termeh, la fille de Simin et Nader. Ayant échoué dans sa tentative de réconcilier ses parents, Termeh se retrouve devant le bureau du juge et doit déterminer avec qui elle veut vivre. Bien plus qu'un choix entre un père et une mère, c'est le choix d'un avenir, d'une façon de voir. C'est le choix d'une porte plutôt qu'une autre et la tenace volonté de les ouvrir toutes. À travers elle se manifeste le déchirant cri d'alarme d'une société qui place dans le cœur de sa jeunesse tous ses espoirs.
Lorsque Simin et Nader attendent la décision de leur fille dans les couloirs de la justice, ils sont d'un côté et de l'autre d'une porte ouverte. Mais un verrou est inscrit en eux, et malgré cette porte ouverte aux possibles, il n'y a pas moyen de se rassembler. Il suffirait que la conscience démêle les barbelés intérieurs et que les limites de l'un s'ajustent à celles de l'autre. Ou bien de faire deux petits pas.

(1) Phrase tirée du film d'Alain Resnais, L'année dernière à Marienbad (1960).

« Nader », Peyman Moadi.


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