mardi 18 février 2014

Rêves d'or

Rêves d'or de Diego Quemada-Diez (2013)

Titre original : La jaula de oro

Vivre son rêve ou la transfiguration contrainte. Le rêve de Juan, Sara et Samuel est une construction sublimée d'un avenir meilleur, certes, mais qui ne peut se passer d'un terrible sacrifice : celui de son identité, de ses racines, de soi. Pourtant, et c'est le paradoxe de ce rêve déchirant, les signes de leur naissance feront leurs apparitions, en pointillés, sans qu'ils aient un pouvoir de contrôle sur eux, tout au long de ce voyage.
Pour atteindre ce rêve, ces trois adolescents issus des bidonvilles du Guatemala, puis plus tard Chauk du Chiapas, doivent tout quitter. Pire, ils doivent mourir un petit peu, devenir quelqu'un d'autre, changer de visage. Livrer leur folle jeunesse à la poussière des chemins égarés d'un voyage sans retour. Avant même de faire le premier pas, le danger qu'ils préfigurent les grandit. Devenir quelqu'un d'autre, et ne pas laisser une infime parcelle de fragilité à l'ennemi, celui qui tentera de faire obstacle au rêve. La fragilité de Sara, sa féminité, doit être sacrifiée aussi : couper ses cheveux et masquer sa poitrine. Changer de peau. Se fondre parmi la foule des hommes, devenir personne pour avoir la chance de devenir quelqu'un.
Le premier écueil surgit dans les sifflements et les cris d'un monstre d'acier : le train. Première opportunité de départ, premier pas et premier échec. Mais la véritable nature du voyage se dévoile : rien ne s'arrête pour eux, ils doivent tout prendre en route. Ne pas faire un pas, mais faire un saut et à chaque saut, ajuster son rêve en l'amputant d'une étoile sans que le drapeau ne soit vierge de ses astres.
Le drapeau, justement. Ils posent devant lui et sa statue de la Liberté, unique occasion de tenir ce rêve, dans sa nature dépourvue de toute dramaturgie. Il est figé et immortalisé comme l'idée indescriptible et inoffensive du point de mire qui les motive depuis le départ, au bout des rails. Un rail symbolisant le passé, l'autre l'avenir, et s'ils veulent atteindre cet horizon, ces deux rails ne doivent jamais ce croiser.

Paul Virilio écrit : « Où sommes-nous lorsque nous voyageons ? Quel est ce "pays de la vitesse" qui ne se confond jamais avec le milieu traversé ? […] nous sommes emportés, véhiculés, vers un but, un lieu, futur objectif de notre trajet, mais l’ici et maintenant de la rapidité et de son accélération nous échappent bien qu’ils lèsent gravement l’image du milieu parcouru […] les champs animés deviennent cinétiques, et nul ne s’aviserait de confondre ces "séquences" avec leur réalité géographique. »

Tant qu'ils avancent, ils ne sont nulle part. S'arrêter, interrompre le voyage, c'est exister dans un ancrage, c'est renaître et du coup faire revivre sa mauvaise naissance, laisser sortir de terre ses racines. Il n'y a rien d'autre que ce point de mire et cette mise au monde attendue et contrôlée en territoire libre.
Perchés sur le train, ils regardent la misère s'étendre, spectateur de leur propre passé en train de se découdre à l'horizontal, sur les traverses de la voie ferrée, en vue d'un tissage vertical, celui dans lequel Juan glisse ses mains, une grille de fer. Celle de la prison dorée, les États-Unis, tandis que le rêve premier dort au creux d'une conscience éperdue des souffrances impossibles à cicatriser.

Juan, Sara et Chauk.


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