lundi 3 février 2014

Des gens comme les autres

Des gens comme les autres de Robert Redford (1980)

Titre original : Ordinary People

Lorsque quelque chose vous glisse entre les mains et se brise, une assiette par exemple, il y a deux façons de voir les choses : soit se dire qu'elle peut être recollée au point de ne plus la reconnaître parmi celles intactes ; soit penser qu'elle ne sera jamais plus comme avant, quand bien même a-t-elle une chance de finir fondue parmi la pile des autres. Il en va des petits comme des grands drames.
Les gens comme les autres tentent de survivre aux épreuves de la vie. Et bien qu'ils aient l'apparence de gens ordinaires, qui rient dans les soirées, il faut bien avouer qu'en eux, peut-être, résonne encore le son strident d'une assiette brisée sur le sol.
Calvin, le père de Conrad, lors d'une soirée pleine d'insouciance et de légèreté, lève délicatement le voile couvrant les blessures de la famille. Il ne prend pas de décision, il agit pour son bien. Malgré tout, sans le savoir, cet acte sain sera à l'origine d'une seconde fissure : Beth, son épouse, refuse de se montrer fragile et désapprouve le comportement de Calvin. Un second drame est en marche et cette fois, point de son strident ni de fêlure bruyante : le vernis de la reconstruction, de la tranquillité d'âme se craquelle, et s'infiltre alors l'incompréhension.
La famille cherche son équilibre au-dessus du remous de sa fragile mémoire, et alors que tous sont sur le même fil, voilà qu'il n'est pas tendu à la mesure de chacun. La conscience élabore sa petite stratégie pour vaincre la peur, or cette stratégie compose bien souvent sans l'inconscient. Dans ce cas, sans humilité et sans acceptation de la peur, elle nous mène dans la direction opposée à notre propre bonheur. Pire encore, elle peut télescoper et blesser l'être aimé dans sa saine recherche du paisible et de l'unicité salvatrice.
Conrad, l'adolescent, est l'élément perturbateur et rédempteur à la fois. Témoin direct du drame premier, acteur même, il est le souvenir et la difficile tentative de le dépasser. Son âge, celui du devenir adulte, et la thérapie qu'il a entamée lui offre toutes les opportunités de s'en sortir. Soutenu par cette dernière, il chemine vers la réduction de sa peine, de sa douleur qui le déchirent en deux et que ses parents, pour leur part, ne pourront surmonter que par la séparation. Épaulé par son père qui sait que sauver son fils, c'est sauver la famille entière, il est écarté par sa mère qui doit fuir le foyer ignorant pour l'heure cette leçon : la terrible négation de ses émotions est plus dévastatrice encore que la libération de la souffrance.

Mary Tyler Moore « Beth » et Timothy Hutton « Conrad ».



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