vendredi 11 mai 2018

Les muscles de Sisyphe

Marcel Bénabou, Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres, 1986. 

« Ainsi, écrire qu'on voudrait écrire, c'est déjà écrire. Écrire qu'on ne peut écrire, c'est encore écrire. Une façon comme une autre d'opérer le renversement qui est à l'origine de tant d'audacieuses entreprises : faire du périphérique le centre, de l'accessoire l'essentiel et de la pierre de rebut la clé de voûte. Je savais donc ce qui me restait à faire : une sorte de coup de force par lequel il fallait arriver à faire exister fictivement des livres qui n'existent pas vraiment et, par là, donner une existence réelle au livre qui traite de ces livres fictifs. Une démarche en somme qui ressemble fort à celle qui mène au cogito cartésien : c'est dans le moment même où je donnerais acte de mon inaptitude à l'écriture que je me découvrirais écrivain, et c'est de l'absence de mes ouvrages inaboutis que se nourrirait celui-ci. Bel exemple de cette stratégie du qui-perd-gagne, de cette prouesse dialectique qui fait d'une accumulation d'échecs un chemin vers le succès. Nous a-t-on assez répété que Sisyphe se faisait des muscles ! »


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire