mercredi 17 avril 2019

Une forêt brûle sous un toit

Le ciel, immense, ressemble à ces ciels d'été lorsque la lumière retient le jour et que chaque soir dure toujours. Comme une mer renversée au-dessus de nos têtes, son bleu strié de nuages effilochés et de traînées de condensation d'avions invite à la rêverie. Il ne fait pas si froid ce lundi, il ne pleut pas. Les artères de la capitale brassent ses habitants au rythme d'un jour paisible, presque un dimanche sans messe. Pourtant, une forêt brûle sous un toit.

Les premiers témoins s'arrêtent. Une épaisse fumée blanche s'enroule au-dessus de l'île de la Cité. Des sans-abris délaissent leur aumône et s'immiscent parmi la foule qui, pour une fois, se fige dans l'incrédulité. Il n'y a jamais tant de fraternité silencieuse que devant l'impensable. Est-il possible que, sous un ciel de paix, des flammes ravagent une cathédrale qui a vu tant de guerres et d'insurrections ? Ni canons, ni obus, ni tonnerre d'aucune sorte n'ont précédé le drame, celui d'une forêt qui brûle sous un toit.

Là, sous nos yeux, s'anime et prend vie le motif d'une peinture flamande. Un artiste anonyme s'amuse à copier l'arrière-plan de La Tentation de saint Antoine de Jérôme Bosch. Il ne lésine pas sur les moyens. Pour cette œuvre-là, il faut une palette à l'échelle des astres et sacrifier des siècles de bâtisseurs. Quel ingrédient, quel élément permet de mélanger si harmonieusement le bleu, le jaune, le rouge et le noir ? Sans tube, ni toile, que manque-t-il à l'œuvre pour qu'elle devienne un spectacle déchirant ? Rien moins qu'une forêt qui brûle sous un toit.

Bientôt les deux tours rougeoient comme si elles sortaient tout juste d'un haut fourneau. Jamais crépuscule n'avait illuminé avec autant de clarté les beffrois. Pour quelques minutes encore, deux soleils s'acharnent sur l'édifice : l'un disparaît lentement derrière l'horizon, indifférent aux sirènes et aux prières, tandis que l'autre, capricieux, ne s'éteint pas. Il étend sa couche dans les combles et lèche les tuiles de plomb. Ses rayons transpercent la forêt qui brûle sous le toit.

Le songe prémonitoire de Victor Hugo, couché sur le papier pour l'éternité, s'anime grandeur nature comme par miracle. Le Moyen Âge sort de son tombeau, dans la lueur d'un coucher de soleil factice. Il se réveille et disparaît pour de bon, emportant ses poutres avec lui. Plus vieux encore, le feu, ce dieu païen, consacre notre impuissance. Les gargouilles tentent, tant bien que mal, de cracher l'eau qui vient de la Seine sans prendre la peine de se condenser en nuages. Le circuit de cette fausse pluie est perturbé puisqu'il n'y a plus de toit. Une forêt l'a brûlé.

Un bûcher sans haine, sans condamné, sans hérésie crépite dans Paris. Il emplit l'air de ses cendres. La flèche de bois et de plomb qui contenait trois reliques, se plie en deux, rongée par l'incendie, et s'effondre dans l'âtre gigantesque qui retient côte à côte les badauds. Douze apôtres de cuivre vert-de-gris échappent de peu à l'immolation. Leur gîte séculaire s'est consumé en leur absence. Le temps de la réfection les a sauvés. La forêt brûle maintenant au cœur des pierres ancestrales, à l'air libre, sans toit. Notre-Dame est en feu.
Notre-Dame de Paris en feu, le soir du lundi 15 avril 2019.

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