Avant l'aube ou après le crépuscule, tandis que l'agitation du monde décroît et fait place au silence, toute tâche, si banale soit-elle, porte le germe d'une pesanteur, d'une dimension spirituelle. Pour l'entendre, la saisir, il faut se fermer un peu aux premiers ou derniers bruits de ce monde qui régit nos actions.
La scène était immortalisée avant les laudes, la prière chrétienne du lever du soleil, ou après les vêpres, les offices du soir, impossible de donner une heure. Le visage de la nonne ne laissait rien transparaître, aucune piste. Alors que j'avais fait défiler des photographies, je m'étais arrêté sur l'une d'entre elles sans savoir pourquoi dans un premier temps. Quelque chose m'attirait et forçait mon attention.
En l'observant, j'imaginais, je croyais l'entendre même, ce chuintement, cette respiration du fer ivoire se mêler au chevrotement du néon. Tous deux rythmaient le travail. Ces sons remplissaient l'espace, résonnaient dans ce sous-sol austère et se frottaient aux parois cimentées comme si quelqu'un le recouvrait d'une couche de plâtre. Les pommettes de la moniale étaient piquées par le froid du sous-sol et rougissaient timidement. Ce cliché avait un pouvoir symbolique indéniable, comme une évidence. Et à mesure que je prenais connaissance des détails et me familiarisait avec lui, j'ai fini par trouver : il avait tout de la scène de genre d'une peinture baroque.
Outre l'intimité de ce halo divin, qui me faisait penser à un procédé d'éclairage pictural, j'ai vu dans la posture de cette nonne le mouvement figé de La laitière peint par l'artiste néerlandais Johannes Vermeer. Son geste ne trichait pas, il était pris sur le vif. Et même s'il était banal, il renfermait en lui un pouvoir évocateur ancestral.
Quant à l'expression de la nonne, plus proche de celle de La blanchisseuse de Jean Baptiste Siméon Chardin, elle aussi trahissait une nature spontanée impossible à jouer. Elle ne cherchait pas à s'adresser à quelqu'un, elle était en conversation avec elle-même ou peut-être avec Dieu. Elle récitait une prière ou énumérait les autres tâches à venir. Elle dressait le bilan du jour passé ou traçait les lignes du jour qui va poindre. Elle se confessait ou chantonnait, riait ou souriait à une anecdote. Cette distraction ne l'empêchait pas d'être absorbée par son travail. Lorsqu'une moniale décide de consacrer sa vie à Dieu, elle sait que tout la ramène à Lui, tout geste est une offrande en même temps qu'il est guidé par Lui. Cet être dévoué à Dieu devient un passage, en recevant puis en transmettant.
La moniale rendait donc hommage à Dieu en achevant au mieux son travail, en faisant en sorte que le linge soit comme il devait être, que les plis soient droits et bien placés. Avant que le jour naisse, dès le réveil, tout geste est un don. Et tandis que la journée s'achève avec son lot de fatigue, tout geste s'offre encore à l'Éternel. Si bien que l'intention de ce geste doit être louable à l'infini, comme s'il devait toucher Dieu. Elle parlait donc avec Dieu, j'en étais certain maintenant, mais sans parole. Dans le mouvement seul. Dieu n'était pas seulement présent à travers cette petite icône ou par le rayonnement symbolique de ce brutal éclairage au-dessus de la vierge et son enfant. Dieu était dans l’accomplissement de sa tâche, dans la joie de l’exécution et dans la réussite finale. Et l'aboutissement c'était le pli. Dieu était dans le pli.
J'ai souri à mon tour quand cette idée m'a traversé l'esprit. J'ai repensé à mes années d'études, et un livre de Gilles Deleuze, a ressurgi de ma mémoire : Le Pli. Ouvrage dans lequel l'auteur rend hommage à la philosophie de Leibniz et au baroque en passant par la notion de pli. Cette photographie illustrait à merveille le syllogisme d'une existence monacale en mêlant ces deux prémisses : Dieu et le pli. J'avais fini par comprendre le plaisir que je prenais à regarder ce cliché et à dénouer sa dimension mystique. J'entendis à nouveau respirer le fer. Le fer respirait dans le pli.
La scène était immortalisée avant les laudes, la prière chrétienne du lever du soleil, ou après les vêpres, les offices du soir, impossible de donner une heure. Le visage de la nonne ne laissait rien transparaître, aucune piste. Alors que j'avais fait défiler des photographies, je m'étais arrêté sur l'une d'entre elles sans savoir pourquoi dans un premier temps. Quelque chose m'attirait et forçait mon attention.
En l'observant, j'imaginais, je croyais l'entendre même, ce chuintement, cette respiration du fer ivoire se mêler au chevrotement du néon. Tous deux rythmaient le travail. Ces sons remplissaient l'espace, résonnaient dans ce sous-sol austère et se frottaient aux parois cimentées comme si quelqu'un le recouvrait d'une couche de plâtre. Les pommettes de la moniale étaient piquées par le froid du sous-sol et rougissaient timidement. Ce cliché avait un pouvoir symbolique indéniable, comme une évidence. Et à mesure que je prenais connaissance des détails et me familiarisait avec lui, j'ai fini par trouver : il avait tout de la scène de genre d'une peinture baroque.
Outre l'intimité de ce halo divin, qui me faisait penser à un procédé d'éclairage pictural, j'ai vu dans la posture de cette nonne le mouvement figé de La laitière peint par l'artiste néerlandais Johannes Vermeer. Son geste ne trichait pas, il était pris sur le vif. Et même s'il était banal, il renfermait en lui un pouvoir évocateur ancestral.
Quant à l'expression de la nonne, plus proche de celle de La blanchisseuse de Jean Baptiste Siméon Chardin, elle aussi trahissait une nature spontanée impossible à jouer. Elle ne cherchait pas à s'adresser à quelqu'un, elle était en conversation avec elle-même ou peut-être avec Dieu. Elle récitait une prière ou énumérait les autres tâches à venir. Elle dressait le bilan du jour passé ou traçait les lignes du jour qui va poindre. Elle se confessait ou chantonnait, riait ou souriait à une anecdote. Cette distraction ne l'empêchait pas d'être absorbée par son travail. Lorsqu'une moniale décide de consacrer sa vie à Dieu, elle sait que tout la ramène à Lui, tout geste est une offrande en même temps qu'il est guidé par Lui. Cet être dévoué à Dieu devient un passage, en recevant puis en transmettant.
La moniale rendait donc hommage à Dieu en achevant au mieux son travail, en faisant en sorte que le linge soit comme il devait être, que les plis soient droits et bien placés. Avant que le jour naisse, dès le réveil, tout geste est un don. Et tandis que la journée s'achève avec son lot de fatigue, tout geste s'offre encore à l'Éternel. Si bien que l'intention de ce geste doit être louable à l'infini, comme s'il devait toucher Dieu. Elle parlait donc avec Dieu, j'en étais certain maintenant, mais sans parole. Dans le mouvement seul. Dieu n'était pas seulement présent à travers cette petite icône ou par le rayonnement symbolique de ce brutal éclairage au-dessus de la vierge et son enfant. Dieu était dans l’accomplissement de sa tâche, dans la joie de l’exécution et dans la réussite finale. Et l'aboutissement c'était le pli. Dieu était dans le pli.
J'ai souri à mon tour quand cette idée m'a traversé l'esprit. J'ai repensé à mes années d'études, et un livre de Gilles Deleuze, a ressurgi de ma mémoire : Le Pli. Ouvrage dans lequel l'auteur rend hommage à la philosophie de Leibniz et au baroque en passant par la notion de pli. Cette photographie illustrait à merveille le syllogisme d'une existence monacale en mêlant ces deux prémisses : Dieu et le pli. J'avais fini par comprendre le plaisir que je prenais à regarder ce cliché et à dénouer sa dimension mystique. J'entendis à nouveau respirer le fer. Le fer respirait dans le pli.
Lumen ⓒ Léa Bousqué. |
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