Murmures des murs de Victoria Thierrée-Chaplin, avec Aurélia Thierrée
Il faut partir, quitter les lieux, fermer les yeux. Mais quelque chose résiste, s'accroche aux murs, se loge sous l'épiderme fait de couches de papiers peints : les souvenirs. Des cieux tombe déjà le plâtre, les murs s'effritent, tout va disparaître. C'est le moment que choisissent les fantômes du passé pour se réveiller. Un passé qui s'est imprimé là, sur ces murs comme des toiles de cinéma. Il ne sera bientôt plus possible de revoir les films ici. Mais seulement de les convoquer dans son esprit, avec le risque de les voir déformés par les caprices de ces fantômes.
Les souvenirs, jamais ne disparaissent. Et pourtant ils sont constitués d'images elles-mêmes formées et figées grâce aux choses matérielles qui nous entourent. Seulement, ces choses-là meurent un jour, se craquèlent, se brisent, deviennent poussière et recouvrent de cette fine couche les visions du passé qu'un revers de main tente vainement d'épousseter. L'alchimie du songe a plongé les souvenirs dans le bain révélateur, et les images, qui jamais ne seront matière, voyageront dans l'âme de celui qui rêve.
Un voyage sens dessus dessous, au sein duquel sont enracinées sur le bas-côté de nos actions, comme des bornes kilométriques. La peinture est écaillée et le kilomètre censé nous renseigner sur notre position est un peu effacé. Faire marche arrière, c'est briser le cours du temps : c'est-à-dire retrouver des images déconnectées d'un instant, des images qui flottent dans la coupe d'un sorcier que notre inconscient abrite généreusement, alors que lui s'amuse à nous trahir en tissant des liens absurdes entre des époques révolues. Et il nous contraint même à garder en mémoire des petits objets, comme les chaussures par exemple. Comme si ces chaussures, qu'il faut ranger, était une partie de nous immortelle, qui jamais ne pourrait se loger dans un carton car elles ne prennent sens qu'à nos pieds. Ici, les chaussures à talons renvoient au ballet du film de Michael Powell et Emeric Pressburger, Les Chaussons rouges, séquence relatant le conte d'Andersen, Les Souliers rouges. Un conte dans lequel l'héroïne ne peut s'empêcher de danser dès qu'elle porte ces souliers-là.
Les souvenirs, jamais ne disparaissent. Et pourtant ils sont constitués d'images elles-mêmes formées et figées grâce aux choses matérielles qui nous entourent. Seulement, ces choses-là meurent un jour, se craquèlent, se brisent, deviennent poussière et recouvrent de cette fine couche les visions du passé qu'un revers de main tente vainement d'épousseter. L'alchimie du songe a plongé les souvenirs dans le bain révélateur, et les images, qui jamais ne seront matière, voyageront dans l'âme de celui qui rêve.
Un voyage sens dessus dessous, au sein duquel sont enracinées sur le bas-côté de nos actions, comme des bornes kilométriques. La peinture est écaillée et le kilomètre censé nous renseigner sur notre position est un peu effacé. Faire marche arrière, c'est briser le cours du temps : c'est-à-dire retrouver des images déconnectées d'un instant, des images qui flottent dans la coupe d'un sorcier que notre inconscient abrite généreusement, alors que lui s'amuse à nous trahir en tissant des liens absurdes entre des époques révolues. Et il nous contraint même à garder en mémoire des petits objets, comme les chaussures par exemple. Comme si ces chaussures, qu'il faut ranger, était une partie de nous immortelle, qui jamais ne pourrait se loger dans un carton car elles ne prennent sens qu'à nos pieds. Ici, les chaussures à talons renvoient au ballet du film de Michael Powell et Emeric Pressburger, Les Chaussons rouges, séquence relatant le conte d'Andersen, Les Souliers rouges. Un conte dans lequel l'héroïne ne peut s'empêcher de danser dès qu'elle porte ces souliers-là.
Et le passé retrouvé se met à danser, lui aussi, comme le reflet d'un quartier tout entier dans l'eau qui remplace les routes – nous sommes à Venise –, si bien qu'on marche là où il faut nager, et on se noie. Le passé fond sur nous comme une vague, un mirage. Puis les fantômes deviennent des monstres car le souvenir grossit toujours, amplifie. Or, les fantômes ne sont rien d'autre qu'un jeu de mémoire et ils ne bougent que parce que nous les appelons et les invitons à nous murmurer le passé. Pour cette raison, ils ne nous effraient pas complètement, ils nous fascinent aussi un peu.
Le temps presse. Vite, emballer les objets dans du papier à bulles, pour les protéger. Ce qui protège, c'est l'air, ce qui ne se voit pas. L'air contenu dans les bulles du papier. Pourquoi aime-t-on tant éclater les bulles de ce papier ? Parce qu'on fait alors entendre ce qui ne se voit pas. Et puis finalement, s'il faut tant prendre soin du vase, pourquoi ne pas prendre autant soin de soi et se laisser soi-même envelopper par le papier à bulles pour voyager en toute sécurité ! Se laisser porter. Par le vent. Il siffle en parcourant le quartier, grand courant d'air de la mémoire, comme dans les rêves de Guido, le personnage de Huit et demi de Federico Fellini. Le vent ne se voit pas non plus mais il est aussi un personnage qui murmure, à sa façon.
La fin approche, tout va redevenir poussière. La poussière c'est le murmure des choses matérielles, des choses qui ont un corps : elle danse avant de se poser quelque part. Ce qu'il nous dit, ce murmure, c'est qu'il ne pourra jamais parler à haute voix pour tout raconter sinon il va nous réveiller et faire éclater la bulle. Ce qu'elle nous dit, la poussière, c'est qu'elle dépose un léger voile pour ne pas que la lumière éclatante nous réveille. Et lorsque nous serons nous-mêmes poussière, nous murmurerons aux vivants, à notre tour, narguant la mort comme le suggère Marcel Proust.
« Mais qu’un bruit, une odeur, déjà entendu ou respirée jadis, le soient de nouveau, à la fois dans le présent et dans le passé, réels sans être actuels, idéaux sans être abstraits, aussitôt l’essence permanente et habituellement cachée des choses se trouve libérée et notre vrai moi, qui, parfois depuis longtemps, semblait mort, mais ne l’était pas entièrement, s’éveille, s’anime en recevant la céleste nourriture qui lui est apportée. Une minute affranchie de l’ordre du temps a recréé en nous pour la sentir l’homme affranchi de l’ordre du temps. Et celui-là, on comprend qu’il soit confiant dans sa joie, même si le simple goût d’une madeleine ne semble pas contenir logiquement les raisons de cette joie, on comprend que le mot de “mort” n’ait pas de sons pour lui ; situé hors du temps, que pourrait-il craindre de l’avenir ? »*
*À la recherche du temps perdu, (tome VII, Le Temps retrouvé).
>À lire également l'article de Pierre David sur le blog La Maison jaune.
Aurélia Thierrée. |
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