Encadrée d’un côté par le bar Le Prétexte et de l’autre par un vendeur de vinyles, la devanture bleue de Kayo laisse entrevoir de petits bijoux gastronomiques, alignés au cordeau. Leur étiquette à l’écriture soignée, accentue la préciosité de ces œuvres d’art gustatives. Les couleurs rivalisent avec les formes et les parfums, et cette première approche accroche le regard. Mais je n’ai pas découvert sa boutique en passant devant. Un ami m’a un jour offert l’un de ses gâteaux en vantant ses qualités. Plus tard, lorsque je m’y suis rendu, j’ai découvert un lieu qui ne ressemblait à aucune autre pâtisserie. Aux murs, des petites photographies de natures, de paysages dépeuplés dialoguent entre elles, et une affichette détaille, à la façon d’un mode d’emploi, le contenu de quelques gâteaux.
Là, le temps se dilate et même si l’espace est exigu, le client se sent à l’aise. Il n’y a pas d’incitation à l’achat, Kayo n’attend pas derrière le comptoir. Toujours active, elle range, cuisine, nettoie comme si elle était chez elle, conférant une intimité réconfortante à sa boutique. Séduit par son havre de paix et sa production, je lui ai proposé un interview qu’elle a d’abord refusé, prétextant, avec modestie, une préférence pour la discrétion. Après plusieurs passages espacés, deux ans plus tard, je lui ai proposé à nouveau d’écrire un article sur elle et ses gâteaux. Elle avait changé d’avis.
Kayo est née au Japon, dans les années 70, à une heure au sud de Tokyo, dans la préfecture de Kanagawa, rendue célèbre par l’estampe de l’artiste Hokusai, la Grande Vague de Kanagawa. Ses deux parents fabriquaient et vendaient des futons et adolescente, elle aidait à la vente et la couture. À la maison, elle a pris soin d’un frère trisomique et d’une sœur fragile et est devenue très vite autonome et indépendante. À 15 ans, alors qu'elle rêvait de devenir chirurgienne, le métier de vétérinaire s'impose à elle lorsque son oiseau de compagnie prend le chemin des étoiles. Après son échec à l'examen d'entrée, elle part pour Londres, un an après sa majorité, dans le but de trouver une nouvelle voie. C’est en secondant une personne à la traduction en cuisine que petit à petit s’imposera à elle cette profession. Elle obtiendra à Londres son premier diplôme en pâtisserie.
Après quelques allers et retours sur son île natale, elle gravira les échelons rapidement, et parcourra le monde dans les cuisines des hôtels de Luxe, du Qatar à la Malaisie, d’Abou Dabi à Paris. Derrière un bureau, la cheffe pâtissière ne mettra plus la main à la pâte mais inventera, formera des équipes, fera du consulting. Elle apprendra le français en autodidacte et me confie à ce sujet, avec amusement, que lorsqu’elle communique, elle choisit des mots sans la lettre « r », qu’elle a du mal à prononcer.
Kayo © Kayo Akiyama.
Lorsqu’elle s’est lancée dans la cuisine, au début de sa carrière, elle n’avait pas de prédilection pour la pâtisserie. Avec la pratique, elle a fini par y trouver un savant mélange de science, pour la conception, de mathématiques pour les dosages, et d’art avec cette dimension créative qu’elle retrouve également dans sa pratique de la photographie et de la peinture. Lorsque je lui parle de ses influences, elle me cite Pierre Hermé. Elle a goûté pour la première fois ses pâtisseries chez Fauchon à Paris, mais regrette que le métier dérive vers la notoriété.
Son dernier emploi à l'étranger, c'est au bord du lac Leman qu'elle l'exerce, à Genève, dans les cuisines d'un hôtel cinq étoiles. Les hasards de la vie et des rencontres l’ont amenée à s’installer à Toulouse, après un séjour dans le Lot, quelques mois avant l’arrivée du Covid. Elle a ensuite ouvert son commerce il y a quatre ans, en décidant de tout elle-même. Même si sa boutique est située en plein cœur de la ville, rue Temponières — anciennement baptisée rue Gourmande à la fin du XVIIIᵉ, lorsque les pâtisseries et les rôtisseurs y avaient élus domicile —, elle conserve cette chaleureuse proximité avec le client, comme l’échoppe de Sentaro dans le film Les Délices de Tokyo.
Le nom de sa boutique, Un petit gâteau, est une manière, pour elle, de rendre hommage aux émotions qui bercent nos vies. Le petit gâteau est le moyen de s’octroyer ce petit réconfort du quotidien tout en valorisant l’idée de partage. Elle choisit ses créations en fonction des saisons, et avec des ingrédients locaux. Neuf variétés par jour émergent de sa cuisine, qui dépendent aussi du temps qu’il fait. Elle ne garde ses gâteaux qu’une journée car la texture se modifie. Des fruits qu’il reste de ses productions, elle en fait des confitures qu’elle propose à la vente.
Kayo © Aude Espagno.
Elle loge à proximité du Jardin des Plantes et rejoint sa boutique à pied, au petit jour. Son rideau de fer ne se lève entièrement que quatre jours par semaine mais ses journées de travail avoisinent les 16h par jour, toujours dans l’idée de tout faire elle-même avec une grande exigence. Ce même souci du détail, cette rigueur en tout, je l'ai senti dans sa relecture de mon article. Kayo a pris le temps et le soin de corriger point par point, avec une délicatesse infinie, toutes les inexactitudes du récit de sa vie, dans un français impeccable.
Comme elle souhaite garder sa nationalité japonaise et que le pays n’accepte pas la double nationalité, elle doit renouveler son titre de séjour tous les dix ans. Mais elle aime appartenir à deux mondes, fussent-ils éloignés. Lorsqu’on parle de l’avenir, elle me confie vouloir former les autres, transmettre son savoir, ses compétences, mais surtout sentir la chaleur humaine, la bienveillance d'une équipe qu'elle a toujours considéré comme une seconde famille.
Avant de la quitter, j’observe les étagères à proximité de l’entrée sur lesquelles se trouvent ses autres productions, confitures, gâteaux secs, amandes au matcha ou encore des thés qu’elle importe de petits producteurs de sa région natale. Dehors, la chaleur estivale pousse deux nouvelles clientes à entrer pour commander une glace au Yuzu élaborée par ses soins. Je profite de ce moment pour m’éclipser, tout en jetant un dernier regard sur la vitrine et ses délicates et précieuses gourmandises, dans leur écrin de verre, et en détaillant celles qu'il me reste à déguster.

