Entre les choses que nous savons et celles que nous ignorons, il y a un fossé que l’écriture tente de combler. Lorsqu’elle y parvient, elle nous donne à voir ce que nous savons comme quelque chose de neuf, et ce que nous ignorons comme quelque chose d’archaïque, qui a toujours été là, à nos côtés. Du moins, c’est ce que je crois. Mais je ne suis pas écrivain, je répare des ascenseurs.
Pourtant, quelque
part, j’ai moi aussi toujours eu le sentiment de combler un vide, sans que cela
ne se voit, sans que personne n’y prête un réel intérêt. J’ai toujours pensé
que mon métier se réduisait à faire en sorte que les gens puissent aller d’un
point A à un point B, sans encombre, sans souci ; que les chemins de vie
ne s’interrompent pas brutalement, sans raison. Et surtout, lorsque ces
interruptions surviennent, que l’attente, autant que faire se peut, soit la
plus courte, que le vide soit le moins béant possible. Cette croyance a
toujours été bien ancrée en moi, jusqu’à cet épisode un peu particulier.
Ce jour-là, à
travers un seul coup de fil, j’ai compris que nos vies nous offraient parfois
des arrêts impromptus, afin que nous puissions y glisser un regard neuf et
grandir dans cet espace ouvert à l’indéterminé. J’ai compris que les obstacles
n’en étaient pas totalement, mais surtout que le temps qu’il fallait pour que
ce vide soit comblé, n’était pas le temps habituel dans lequel nous évoluions tous
les jours. Dans ces moments-là, une autre dimension rentre en jeu qui nous
oblige à un contournement plus ou moins doux. Pas une remise en question.
Plutôt comme si une force extérieure nous contraignait à devenir spectateur de
notre vie en plus d’en être acteur.
Après avoir été
témoin de cet incident, j’ai eu l’étrange conviction que je devais l’écrire, tout
en étant déjà convaincu de l’avoir écrit en le vivant. Cette autre certitude
aussi que c’était en l’écrivant, je veux dire en le couchant sur le papier, que
je comblerais un vide, en moi, et pas d’une autre manière.
Habituellement sur
les routes, je suis resté ce matin-là au bureau, afin de répondre aux appels et
d’envoyer les collègues sur les lieux des dépannages. Je remplaçais la
standardiste qui m’avait prévenu qu’elle serait en retard à cause d’embouteillages
inhabituels sur la route.
Un premier coup de
téléphone retentit, qui provenait directement d’un ascenseur. J’ai décroché, me
suis présenté, mais personne ne m’a répondu directement. Par contre,
j’entendais distinctement deux hommes. L’un avait un voile d’inquiétude dans sa
voix malgré son ton déterminé et grave. Et l’autre, plus en retrait, presque
son opposé, manifestement plus serein, tentait d’appréhender ce qui venait de
se passer. Le premier s’appelait Nabil. Le second Chlomi.
– Pourquoi personne
ne parle ? Ça ne marche pas ! C’est pas vrai, je savais que ça
arriverait !
Nabil ponctua sa
phrase d’un coup qu’il asséna à l’interphone défectueux de l’ascenseur. Généralement
ce que fait toute personne démunie, qui tente à tout hasard de jouer sur un
faux contact superficiel, en même temps qu’il exprime son mécontentement, ou sa
rage. Chlomi tenta de le rassurer aussitôt.
– Ça a sonné comme
si l’appel était passé pourtant. Attendez, il faut peut-être que…
– Non, non !
Ça ne marche jamais ce système d’appel. Vous appelez au secours et personne ne vient.
Et ça n’étonne personne non plus ! Vous y comprenez quelque chose,
vous ? Tout est pareil, partout, tout le temps. Rien ne marche et les gens
crient au secours et…
Chlomi restait
silencieux. J’entendais que quelqu’un faisait les cent pas et je me disais que
cent pas dans un ascenseur signifiaient beaucoup d’agitation. J’essayais encore
de parler de temps en temps, surtout lorsqu’un blanc dans l’échange survenait,
mais les propos décousus et impétueux de Nabil, ainsi que sa respiration
haletante ne m’en offraient que très peu d’occasions. La rareté des silences et
le peu d’espoir qu’ils m’entendent à nouveau m’ont convaincu de ne plus parler
directement en m’adressant à eux. Je me suis mis à ponctuer mon écoute de mots épars,
capturés au hasard de mes pensées, prononcés à haute voix, autant pour ne pas
interrompre ce flot intérieur qui faisait mine de les accompagner que pour
tester timidement la liaison. Mais j’avais peu d’espoir qu’ils m’entendent. J’ai
fini par complètement baisser les bras, persuadé que le micro ou un circuit de
l’appareil était endommagé. J’ai appelé un collègue pour lui signaler la panne
et le lieu.
Un appel provenant
d’un ascenseur nous communique automatiquement la référence de l’appareil et,
par une recherche rapide dans les fichiers du central, l’endroit où il se
trouve. Mon collègue m’a prévenu qu’il y serait en moins de trente minutes, que
c’était une chance qu’il soit aussi prêt. Un contretemps l’avait retardé, sans
cela, il devrait déjà être à l’opposé de la ville m’a-t-il confié.
– Je ne peux pas…
je ne peux pas… Pourquoi ça ne capte pas ?
– Ne vous inquiétez
pas, ça se remarque de suite, dans un grand immeuble comme celui-là, que
l’ascenseur ne marche pas.
– Non !
Non ! Ils sont tous occupés !
Comme emmuré dans
sa peur, Nabil a commencé à crier à l’aide, taper violemment contre les portes
métalliques et même essayer de les ouvrir. Sa respiration haletait et semblait
dériver lentement loin de lui. Puis j’ai entendu un frottement de tissu et un
bruit sourd, comme un corps qui tombe. Sa peur l’a submergé me suis-je dit.
Pourtant, j’entendais quelques mots de lui, il n’avait pas perdu connaissance.
Des années
d’expérience dans ce métier m’ont permis de constater une chose : les
personnes claustrophobes se retrouvant bloquées dans des ascenseurs ont presque
instinctivement le réflexe, le besoin, lorsqu’elles se sentent acculées, de se relier
à la terre, de sentir les contraintes de l’apesanteur. Ainsi, elles se
recroquevillent sur elles-mêmes et s’assoient sur le sol quand bien même l’ascenseur
est pendu dans les airs. Ce réflexe cherche à contrecarrer l’absurde danse
verticale de la machine qui ne répond plus aux intentions humaines.
– Ne paniquez
pas ! Calmez-vous ! Détendez-vous !
Je me suis demandé
si je devais appeler les pompiers. J’ai à nouveau tenté de parler, en vain. Et
petit à petit, j’ai senti que Chlomi faisait de son mieux pour contrôler la
situation, qu’il avait presque l’habitude de gérer ce genre de crise. Je me
suis rassuré aussi en pensant que Chlomi savait que je les écoutais, qu’il
avait perçu un souffle prêt à les secourir. Bien qu’ils ne m’étaient pas
adressés, quelques mots de Nabil m’ont rassuré même si le faible son de sa voix
trahissait presque un abandon :
– J’ai peur !
Je ne me sens pas bien. Je n’arrive plus à respirer.
– Desserrez le nœud
de votre cravate ! Permettez-moi de vous aider. Je vais détacher aussi le
bouton de votre chemise. Respirez calmement. Nous sommes en sécurité. Ils vont
arriver. Il faut juste attendre patiemment.
– Comment
savez-vous… qu’ils vont arriver ?
– Dans quelques
minutes, quelqu’un va essayer de prendre cet ascenseur et va remarquer qu’il ne
fonctionne pas normalement. Ou bien, vos collègues vont se demander pourquoi
vous n’êtes pas là… Vous travaillez ici, non ?
– Mais pourquoi
personne ne répond quand je crie ?
– Parce que les
bureaux ne sont pas juste à côté de l’ascenseur je suppose.
– Excusez-moi mais
je ne supporte pas de me sentir enfermé, je ne sais pas pourquoi.
– Je comprends, je
comprends tout à fait. Respirez calmement. Attendez.
Chlomi s’est relevé
et il a ôté une bretelle de son sac à dos d’une de ses épaules et l’a posé à
terre.
– Je crois que je
dois avoir un truc pour vous apaiser.
– Je me sens
partir, je vais perdre connaissance…
– Regardez-moi,
regardez-moi… comment vous appelez-vous ?
– Nabil !
– Nabil, regardez-moi !
Respirez fort et lentement comme moi. Je vous montre l’exemple, faites comme
moi !
La respiration de
Chlomi sifflait et timidement, celle de Nabil émergeait des profondeurs, de
dessous la terre sous laquelle il avait cherché à s’enfouir, à s’enraciner. Le
sifflement de son souffle a rejoint celui de Chlomi et j’avais l’impression
d’entendre l’ascenseur respirer. Nabil n’aurait pu imaginer que quelqu’un
d’autre qu’eux deux faisait siffler son souffle, à quelques kilomètres de là,
afin de repousser la peur qui montait en lui. Moi aussi je respirais avec eux,
donnant de l’écho à leur respiration comme pour ouvrir l’espace confiné dans
lequel ils étaient prisonniers.
Soudain, cet écho
m’est revenu et une image a refait surface, puis plusieurs. D’abord l’ascenseur
de la maternité, puis les couloirs, la salle d’attente, la chambre d’Hélène et
enfin la salle d’accouchement. Ces souvenirs remontaient à la naissance de
notre fils, soit trois petites années en arrière. L’incertitude quant au bon
déroulement de l’accouchement avait jeté Hélène dans une panique débordante, et
les sages-femmes m’avaient appelé pour l’aider. Persuadée qu’elle n’y
arriverait pas, elle s’était mise à pleurer et trembler. Avant que je ne
pénètre dans la salle d’accouchement, l’une des sages-femmes m’avait expliqué
ce que je devais faire : guider, conduire la respiration d’Hélène. Rien
que ça.
– Non, non, je ne
prends rien. Je ne peux pas, je prends déjà un bétabloquant.
– Ce n’est pas un
médicament, ce sont des plantes, de l’aubépine. Ça va vous apaiser un peu.
– Mais… vous êtes
docteur ? Vous alliez au même étage que moi pourtant. Le cabinet est deux
étages au-dessus de la banque…
– Non, réponds
Chlomi, un peu amusé et certainement persuadé que laisser transparaître son
amusement rassurerait Nabil. Je devais aller déposer un sac de médicaments à la
pharmacie pour les recycler mais elle n’était pas encore ouverte. Au pire, ça
sera un peu moins efficace. Tenez, j’ai même un peu d’eau.
– Mais vous disiez
que ce n’était pas des médicaments ?
– Oui, ce sont des
plantes. J’en ai deux boîtes, je voulais me débarrasser de la plus ancienne. Je
peux vous la laisser du coup.
– Je ne sais pas. Je
vais essayer d’appeler mon…
Nabil donnait
l’impression d’être perdu et de vouloir tout tenter en même temps. Il tenait
son portable et essayait sans succès de joindre l’extérieur. Sa voix se perdait
dans les méandres de son corps clôturé par lui-même, par sa peur, et duquel
s’échappait, malgré tout, les prémices d’un souffle libérateur.
– Je vous assure
Nabil, faites-moi confiance. Laissez votre téléphone, vous ne captez pas. Vous
vous acharnez pour rien. Regardez-moi ! Je suis là, comme vous. Je ne me
fais aucun souci. J’ai confiance. Ayez confiance comme moi !
Chlomi a repris sa
respiration et j’ai souri lorsque j’ai imaginé qu’il imitait une locomotive faisant
du surplace, prisonnière d’une gare.
Entre deux
souffles, Nabil s’adressa à Chlomi :
– Je ne vous ai pas
demandé votre prénom…
– Chlomi.
– Vous êtes juif,
Chlomi ?
Nabil a oublié
quelques secondes la panne. Dans sa voix, il y eut comme une sorte d’espoir
ironique et les mots semblaient détachés les uns des autres tout en étant mêlés,
reliés par un fil à linge tendu sous le soleil ardent. Le soleil de la
confidence, du secret, dans le silence d’une confession à venir.
– Oui ! Je
suis juif. Et vous, Nabil ? Vous êtes musulman ?
– Oui !
soupira-t-il d’amusement. Nous avons le même Dieu, c’est pour ça qu’il nous a
mis dans le même ascenseur.
Chlomi a rigolé.
– J’aime beaucoup
votre façon de voir les choses, Nabil !
Les quelques
secondes qui ont séparé son soupir de sa prochaine question se sont écoulées
très lentement, comme chargées d’un temps double, dans lequel les racines de
leur vie respiraient l’air qui jamais n’avait réussi à s’infiltrer dans la
terre compacte de leur existence. Un temps dans lequel l’écho de mon souffle
avait toute la place de se répandre.
– Est-ce que vous
croyez que nos dirigeants devraient se retrouver dans un ascenseur en panne ?
– Je pense que tous
les jours, des occasions comme celles-là les font se rencontrer mais qu’ils ne
se voient pas. Qu’ils passent à côté.
– Vous avez raison,
Chlomi ! Dieu les fait se rencontrer tous les jours.
Toute la fraternité
de ces deux hommes, que le quotidien retenait derrière les politesses d’usage,
se figea, se condensa dans ce nouveau petit silence. Craignant de briser la
corde à linge, le fil tendu de leur échange, il me sembla que ma respiration s’était
interrompue un court instant, impossible à mesurer.
– Donnez-moi votre
cachet ! Je vous fais confiance.
Puis après un
temps.
– Vous montiez à
l’étage de la banque n’est-ce pas ? Vous aviez rendez-vous ?
Qu’est-ce que Dieu a voulu me dire en vous plaçant sur ma route ?
– Je crois qu’il a
voulu que je respire avec vous quelques minutes, c’est tout. Pour le reste, je
ne pense pas qu’il se préoccupe des vraies raisons de ma venue ici. Je suis
venu pour un prêt. J’achète une maison pour ma famille.
– Vous avez
rendez-vous avec qui ?
Quelque chose dans
la voix de Nabil semblait se repositionner et perdre de sa fragilité.
– Personne, c’est
la première fois que je viens.
– Laissez-moi
m’occuper de vous. Je crois que je vous dois bien ça. Je me ferai un plaisir.
La part de vide que
la panne avait creusée dans leur existence étant désormais comblée, l’ascenseur
s’est mis à fonctionner de nouveau, les surprenant tous deux.
– Qu’est-ce que…
– Peut-être une
coupure de courant des parties communes.
Nabil a laissé évacuer
toute sa peur dans une dernière explosion de souffle qui rencontra le micro du
système d’appel de l’ascenseur au moment où il se levait. Du moins, je le
présume. Tant et si bien qu’il l’acheva et que plus aucun son ne me parvenait
de l’appareil.
J’ai trouvé juste
finalement que le sort me prive des derniers mots de cette rencontre emprunte
de dignité. Elle ne m’appartenait plus. J’en avais assez profité. Et puis,
après tout, je n’avais pas assisté non plus au début de cette rencontre. En
étant privé de la fin, cela me donnait l’impression que Dieu, auquel je ne
croyais pas, m’avait chuchoté un message, persuadé que je n’y prêterais guère
attention.
Consciencieux,
j’adressai néanmoins quelques mots au silence et lançai à Nabil et Chlomi un
dernier message pour leur signifier que j’avais bien pris l’appel et que quelqu’un
arriverait dans quelques minutes. Puis j’ai raccroché.
La standardiste est
arrivée peu après, confuse de m’avoir contraint à la tâche qui lui était
destinée.
– Tu t’en es
sorti ? Tu as eu des appels ?
– Oui, un seul.
J’ai envoyé quelqu’un. On a la situation en mains. Qu’est-ce qu’y t’est arrivé ?
– Ils faisaient
sauter un vieil immeuble et des centaines de gens s’étaient arrêtés pour voir
le spectacle. Résultat, des bouchons incroyables.
Je n’ai raconté cet
épisode à personne. Persuadé que je n’aurais jamais l’occasion de rencontrer
Nabil et Chlomi, qu’ils resteraient à jamais des personnages fictifs, j’ai cru
bon de les tenir dans l’écrin des instants volés. Puis, j’ai eu envie d’ouvrir
cet écrin, rien que pour moi et d’écrire cette histoire. Un peu pour la
revivre, un peu pour y puiser un secret. J’ai cherché dans le tiroir du bureau
des feuilles et je suis tombé sur ce petit carnet presque plein, dans lequel
j’avais raconté, pour moi seul, des épisodes de mon quotidien dans lequel des
angoisses venaient me paralyser. Sans réfléchir, je l’ai pris et y ai couché
d’une traite cette histoire.
Par la suite, alors
que je l’avais reposé à sa place, j’ai vu un lien entre mes angoisses et la
peur qu’avait ressentie Nabil. J’ai pensé que peut-être je n’avais pas choisi
par hasard ce carnet. Le secret que j’attendais ne s’était pas révélé, et je ne
sentais pas non plus quel vide j’avais rempli en l’écrivant.
Quelques semaines
plus tard, sur mon planning, était programmée une visite des lieux de
l’incident pour un contrôle de routine. Comme je fais à chaque fois dans ce
cas-là, j’ai emprunté l’ascenseur en appuyant sur le dernier étage afin
d’exécuter un trajet complet et d’écouter les bruits significatifs d’un mauvais
fonctionnement. Et naturellement je voyais Nabil et Chlomi, là, dans ce petit vide
de leur existence. Je ne pouvais pas croire qu’ils avaient été là, que je les
avais entendus. Malgré tout, je les imaginais en me repassant le film de cet
épisode en accéléré. Puis, les portes se sont ouvertes avant que je n’atteigne
le dernier étage. Un homme reconnut ma tenue de travail et surpris de me
trouver là, me salua et m’interpella :
– Il y a un
problème ?
Je distinguai immédiatement
le son de la voix de Nabil. J’ai réfréné l’envie de l’appeler par son prénom.
– Non, un contrôle
de routine. Bonjour. La procédure en cas de panne. Tout va bien. Je vous le
renvoie.
– Merci ! Et
pensez à vérifier le système d’appel !
– Il a été changé.
Tout est en ordre.
J’ai adressé un
sourire à Nabil tentant d’y mettre autant de confiance que de fraternité, et
j’ai succombé à l’envie de lui adresser un salut de la main. Je ne sais pas
pourquoi. C’était idiot. Comme si, jalousant leur histoire, je m’étais permis
d’incarner, le temps d’un geste seulement, Chlomi.
Et puis, avant
d’atteindre le dernier étage, j’ai pensé à Hélène et à notre fils. Ce soir-là,
j’ai invité Hélène à manger à l’extérieur et je lui ai tout raconté. J'ai bien vu
qu’elle m’écoutait seulement d’une oreille, qu’elle regardait notre fils s’amuser
avec d’autres enfants dans le parc, à proximité de la terrasse du restaurant. Je
ne lui en voulais pas. Je crois même que la façon dont je l’ai racontée faisait
en sorte qu’elle ne puisse y attacher une grande importance. Et de la sorte, je
donnais l’impression de me chuchoter l’histoire, de la relire à voix basse,
pour ne pas que Nabil et Chlomi m’entendent. De la rendre à Dieu.
Cette histoire ne
m’appartenait plus. Alors en rentrant, j’ai feuilleté rapidement le carnet et
l’ai jeté. Je savais que je finirais par le faire, persuadé que le moment idéal
se manifesterait de lui-même. Plus tard, lorsque j’ai ouvert le tiroir du
bureau, à la place du carnet, il y avait un vide. Ce vide n’avait aucun sens en
lui-même. Je veux dire au regard de l’espace qu’il libérait. Il me disait juste
qu’il y avait la place pour quelque chose de nouveau. Il me le disait à travers
cette sensation d’apaisement que je ressentais. Uniquement de cette manière,
simplement.